Pour une meilleure compréhension : 

La croissance démographique de l’humanité, la surconsommation et le comportement humain qui consiste à vivre sans respecter les autres règnes -animal, végétal ou minéral- conduisent inexorablement à l’épuisement des ressources naturelles et à l’agonie de toute la planète.

Aujourd’hui, en France, force est de constater que la réglementation mise en place pour protéger les espaces naturels est insuffisante pour préserver la faune sauvage et son habitat. Et l’on ne semble envisager la nature que soumise aux desideratas humains.

Mais que se passe-t-il à l’étranger ? Des philosophes et juristes d’avant-garde ont-ils entrevu une autre façon d’organiser notre relation avec la nature ? Ces idées s’appliquent-elles dans d’autres pays ? Lire l’article ci-dessous

Face à l’urgence, Animal Cross propose une réponse radicale à l’horizon 2030 : l’instauration de véritables zones sanctuarisées, personnalités juridiques, où la nature et la faune reprendraient leurs droits. Mais comment cela pourrait-il bien prendre sa place en France ? Lire l’article

Les parcs nationaux, régionaux et autres réserves naturelles sont des organisations totalement insuffisantes pour protéger la nature au regard des enjeux. Animal Cross en fait une analyse critique et propose quelques idées pour faire émerger une transition. Lire l’article

Quand les philosophes et juristes imaginent une autre relation avec la nature

Les premières idées viennent des Etats-Unis.

Henry David Thoreau par Edward Sidney Dunshee

Henry David Thoreau

Au contact de Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, philosophe, naturaliste et poète américain (1817-1862) raconte dans ses écrits la beauté de la nature sauvage. Isolé pendant deux ans dans sa cabane, il vit au plus près de la nature, souhaite « retrouver le contact de l’air » et vivre mieux avec moins. Quelques phrases illustrent sa pensée : « in wildness is the preservation of the world », « in short all good things are wild and free » (“le salut du monde se trouve dans la vie sauvage”, “en résumé toutes les bonnes choses sont sauvages et libres”).

La notion de wildnerness (= « nature sauvage ») s’est développée aux Etats-Unis au XIXème siècle. Elle s’est concrétisée par la création d’immenses réserves naturelles : le parc du Yellowstone en 1872 et celui du Yosemite en 1890, en réaction au développement économique comme la ruée vers l’or en 1848 et la création de la première ligne de chemin de fer traversant l’Amérique en 1868.

John Muir (1838-1914) prend conscience des dangers courus par la nature et est favorable à l’idée de sanctuarisation aux Etats-Unis.

Aldo Leopold

Aldo Léopold (1887-1948) est considéré comme un des fondateurs de l’éthique de l’environnement outre-Atlantique. Son livre publié en 1949 à titre posthume, l’Almanach d’un comté des sables,  est devenu un classique des écrits consacrés à la nature. Il constate qu’il n’existe pas d’éthique chargée de définir les relations de l’homme à la terre, ni aux animaux, ni aux plantes qui vivent dessus. ». D’où sa célèbre phrase : « L’éthique de la terre élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l’eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la Terre ». Plus de 20 ans avant Peter Singer, et avec d’autres mots, il propose d’intégrer les animaux et la nature dans une communauté interdépendante. Dépassant le dualisme entre les humains et la nature, il propose de « penser comme une montagne ».

Plus près de nous, dès 1973, le philosophe norvégien Arne Naess est à l’origine de la distinction entre « écologie profonde », et « écologie superficielle « (7). Il considère que l’action de réduire la pollution, de fixer des règles de coexistence nature/humain est insuffisante et vaine pour lutter contre la crise environnementale à venir. Il prône la redécouverte de notre lien avec la nature, la « raison profonde de la crise résidant avant tout en nous-mêmes ».

Catherine Larrère

Catherine Larrère, philosophe française contemporaine, s’interroge aujourd’hui avec d’autres (Augustin Berque, Philippe Descola), dans ses livres et colloques, sur l’avenir de l’anthropocène (période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète), voire de celui du « capitalocène » (9). Elle parle d’un second choc narcissique car, après avoir découvert avec Galilée que le soleil ne tourne pas autour de la Terre (fin du géocentrisme), nous commençons à entrevoir que l’homme n’est pas au centre de tout. « Nous transformons le système Terre de façon irréversible », explique-t-elle.

Enfin Thomas Berry, écothéologien américain mort en 2009, a théorisé la jurisprudence de la Terre (10) : selon lui, « L’univers est une communion de sujets et non une collection d’objets ». Il propose une spiritualité centrée sur la création, réinterprétée selon les principes de l’écologie profonde, rejetant le rôle central conféré à l’humain dans le récit de la Genèse au profit d’une approche éthique plus holistique qui accorde à l’entièreté des habitants de la Terre – y compris les plantes et les animaux – une place égale à celle des êtres humains. [1]

Vers la personnalité juridique de la nature

Certains pays ont accordé des droits à la nature en leur accordant la personnalité juridique

Des juristes explorateurs de nouvelles idées ont imaginé que des arbres, par exemple, pouvaient « voir leur cause défendue », et que des fleuves pouvaient exister comme personnes juridiques[2], afin d’obtenir des droits fondamentaux. Les éléments de la nature deviendraient ainsi des sujets de droit aptes à voir leur cause plaidée, en vue de leur protection. Les associations de protection de la nature et des animaux seraient compétentes pour les représenter.  C’est, selon le Rachel Carson Center (11), « le cadre juridique le plus inspirant que le droit puisse offrir à la Nature et à la société ».

Donner une personnalité juridique à des éléments de la Nature n’est pas un concept tout à fait nouveau. Certains pays ont déjà franchi le pas :

Vikunja am Chimborazo – Equateur

L’Equateur a fait de la nature un sujet de droit en inscrivant dans sa constitution les droits de la Terre Mère entrés en vigueur le 20 octobre 2008. L’article 71 dispose que : « La nature, ou Pacha Mama, où la vie est reproduite et se produit, a droit au respect intégral de son existence et au maintien et à la régénération de ses cycles de vie, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs ».

 

 

 

 

Rivière WHANGANUI en Nouvelle-Zélande

La Nouvelle-Zélande reconnaît depuis le 30 août 2012, qu’un élément de la nature est un sujet de droit. Ainsi, le Fleuve WHANGANUI a obtenu sa qualité d’être vivant unique. Il est représenté par la communauté Maori depuis le 15 mars 2017, et c’est tout son écosystème, désormais personnifié, qui s’en trouve protégé.

 

 

 

 

Vue panoramique sur les rivières Yamuna et Gange

Dans le Nord-Est de l’Inde (État d’Uttarakhand), le 20 mars 2017, le Gange et la Yamuna ont, eux aussi, été élevés au rang d’entités vivantes avec un statut de personne juridique. C’est avant tout une manière de peser davantage, selon Marie-Angèle Hermitte, ancienne directrice de recherche au CNRS.

 

 

 

 

 

Forêt amazonienne

La Cour Suprême de justice de Colombie a décidé, par un arrêt du 5 avril 2018, de doter la forêt amazonienne colombienne de la personnalité juridique, la reconnaissant comme un « sujet de droits ».

 

 

 

Déjà, en 1972, Christopher STONE (Professeur de droit à l’Université de Californie du Sud) proposait de faire des arbres, rivières, lacs, crêtes montagneuses et même de l’air … des « sujets de droit «, de façon à s’opposer au projet de création d’un parc d’attraction de Walt Disney dans la vallée de Minéral King, au Parc National de Séquoia. Il est parvenu à ses fins.

En Europe aussi quelques textes de loi permettent d’avancer dans le même sens

 En France, la reconnaissance d’un « préjudice écologique pur » par les tribunaux, lors du naufrage de l’Erika (1999), va aussi dans ce sens.
Depuis 2005, l’article 2 de la Charte de l’Environnement dispose que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». A commencer par l’Etat. Force est de constater que l’Etat français n’a pas respecté ses devoirs ! Une des raisons de cet échec tient dans le préambule de la Charte qui reconnaît l’environnement comme « le patrimoine commun des êtres humains », ce qui signifie en d’autres termes qu’il est au service des humains et de l’économie.
La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016 clarifie dans le droit de l’environnement français les concepts de préjudice écologique, de non-régression du droit de l’environnement, de compensation avec « absence de perte nette de biodiversité » et de solidarité écologique. Mais pas de statut de personne juridique.

L’Allemagne a pris le temps de la réflexion et de l’expérimentation avant d’introduire une clause environnementale dans sa Constitution. Depuis 2002, l’article 20a de la loi fondamentale allemande dispose que : « Assumant ainsi également sa responsabilité devant les générations futures, l’État protège les fondements naturels de la vie et les animaux par l’exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l’ordre constitutionnel, et des pouvoirs exécutif et judiciaire dans les conditions fixées par la loi et le droit.

Divers organisations lancent aussi des appels qui vont dans le même sens.

Le Rachel Carson Center plébiscite sans détour la personnalité juridique conférant à la Nature des droits subjectifs. Il rejoint l’appel formulé en 2016 par le Manifeste d’Oslo de l’UICN. Constatant l’échec du droit de l’environnement traditionnel, le texte exhorte à une transition d’un droit environnemental passéiste vers un droit écologique, non anthropocentré. Il invite les juristes de l’environnement à en être les artisans. Et au cœur des valeurs et principes du droit écologique, le Manifeste liste en son paragraphe 9 les Droits de la Nature et de la Jurisprudence de la Terre (4)

De valeur non contraignante, la Charte de la Terre, adoptée en 2000 au sommet de la Terre de Rio de Janeiro, est un ensemble de principes éthiques fondamentaux qui offre un cadre de transition vers une société reconnaissant l’interdépendance de tous les êtres vivants ainsi que la valeur de toute forme de vie, quelle qu’en soit son utilité pour l’être humain. Elle est soutenue par 6000 organisations.

World People’s Conference on Climate Change and the Rights of Mother Earth 2010

La Déclaration Universelle des Droits de la Terre Mère de 2010, enfin, adoptée lors de la conférence mondiale sur les changements climatiques et les droits de la Terre mère en Bolivie et soumis par le gouvernement bolivien aux Nations-Unies. Il s’agit du principal texte international de protection des Droits de la Nature. La déclaration reconnaît la Terre comme communauté indivisible de la vie peuplée d’êtres interdépendants et considère le respect desdits droits comme condition première à l’effectivité des droits humains. La Déclaration liste 12 droits de la nature et y adjoint 13 devoirs pour l’Homme. Ses promoteurs demandent qu’elle soit adoptée par l’Assemblée générale des nations unies.

 

NOTRE DEMANDE

Dans le prolongement de ces idées, l’association ANIMAL CROSS demande la création de « Sanctuaires déclarés personnes juridiques » afin de préserver minéral, végétal, animal, et cela sans présence humaine.

Ces sanctuaires devront pouvoir engager des actions en justice en leur nom ; au cours d’un procès, les dommages qu’ils ont subis devront être pris en compte indépendamment de toute autre considération ; si des réparations sont obtenues, ils devront en être eux-mêmes les bénéficiaires (selon les théories de Christopher Stone)

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[1] John Hannigan, « Ecology Movement », dans William H. Swatos (éd.), Encyclopedia of Religion and Society, Rowman Altamira, 1998, p. 151-152

[2] Une personne juridique est titulaire de droits et de devoirs. D’ordinaire, cela est réservé aux personnes physiques (être humains) ou morales (groupes de personnes physiques réunies pour accomplir quelque chose de commun). Selon Christopher Stone, pour qu’un être soit considéré comme sujet de droit, il doit pouvoir engager des

[3] Le nouveau paradigme – La Bolivie adopte une Loi de la Terre Mère – 19 août 2015 http://www.2012un-nouveau-paradigme.com/2015/08/la-bolivie-adopte-une-loi-de-la-terre-mere.html

(4) Nicolas Blain Droits de la nature https://droitsdelanature.com/blog/droits-nature-outil-innovant-protection-environnement