Article paru dans le magazine Biocontact numéro 348

Le XXIe siècle doit faire face à une crise écologique et climatique sans précédent. En France métropolitaine, 14 % des mammifères, 24 % des reptiles, 23 % des amphibiens et 32 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition du territoire, tout comme 19 % des poissons d’eau douce selon le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Chaque année, 20 millions d’oiseaux disparaissent en Europe d’après une étude du CNRS et de l’université de Montpellier. La libre évolution de la nature, protégée des pressions humaines, est l’une des solutions efficaces et simples à mettre en œuvre pour apporter une réponse à cette crise environnementale.

La libre évolution de la nature, c’est préserver des lieux dans lesquels la nature possède la plus grande richesse spécifique et la plus grande liberté dans ses processus évolutifs spontanés possibles, afin de permettre à sa capacité de résilience, autrement dit sa capacité de s’adapter à des perturbations, de s’exprimer.

Déclin de la nature et extinction des espèces : un bilan alarmant

Comme l’a rappelé l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) en 2019, « La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine – et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier ». Ce déclin résulte majoritairement d’une disparition ou d’une dégradation des habitats naturels en réponse à une intensification des usages humains, comme l’artificialisation des sols ou la fragmentation des milieux naturels. La surexploitation des milieux (exploitation forestière, agriculture intensive, chasse, pêche), les pollutions multiples, le changement climatique et les espèces exotiques envahissantes participent également à ce déclin.

Aujourd’hui en France, moins de 1,4 % du territoire métropolitain terrestre bénéficie d’une protection « forte » (cœur des parcs nationaux, réserves naturelles, réserves biologiques, les sites faisant l’objet d’un arrêté préfectoral de protection de biotope) mais à l’intérieur de certains de ces espaces de protection « forte », l’exploitation forestière, le pastoralisme, la chasse, la pêche, la cueillette sont malgré tout autorisés.

0,6 % du territoire national seulement correspond à des espaces exempts d’intervention humaine qui protège l’ensemble du vivant.

Une solution efficace : la multiplication des espaces en libre évolution

L’idée est simple. Il s’agit de créer les bonnes conditions pour que la nature s’autogère sans intervention humaine et évolue sans contraintes. Comment ? Il suffit de laisser des espaces de nature tranquilles, sans que l’humain n’y fasse rien. Dans ces espaces, il n’y a ni exploitation du bois ou du sol, ni chasse, ni pêche, ni cueillette ou loisirs bruyants. Seules les promenades et études scientifiques sont permises. Les arbres morts y sont laissés tels quels, pour qu’ils deviennent des écosystèmes précieux pour d’autres êtres vivants.

Il est vrai que plus ces espaces sont grands, plus ils sont profitables à la nature. Mais ces espaces sont possibles et bénéfiques à toutes les échelles.

Une façon simple de protéger la faune… et la flore

Plus un milieu est riche en biodiversité, plus il est résistant et résilient. Laisser les processus écologiques spontanés apparaître, protégés de toute activité humaine d’extraction, et notamment de la chasse, favorise ainsi la protection, la diversité et le retour d’espèces animales, végétales et fongiques, dont certaines sont liées à la maturité des écosystèmes.

Les forêts en libre évolution, composées d’un mélange équilibré d’essences contrastées, offrent une protection naturelle contre les invasions massives de ravageurs en réduisant leur capacité à se propager rapidement. Elles sont donc moins vulnérables aux attaques de scolytes.

Les forêts, par exemple, représentent une réserve importante de biodiversité et tout particulièrement les forêts non exploitées dans lesquelles on laisse vieillir les arbres et on conserve le bois mort.

Jusqu’à un tiers des espèces forestières dépendent du bois mort et de nombreuses espèces vivent sur les troncs et dans les cavités des vieux arbres.

41 % des espèces d’oiseaux forestiers de France métropolitaine dépendent des cavités présentes sur les vieux arbres ou sur les arbres morts pour se reproduire (1). Parmi elles, on trouve celles qui creusent elles-mêmes leur loge, comme les pics, mais aussi celles qui s’installent dans les cavités existantes, comme les chouettes, les sittelles ou les mésanges. Mais les oiseaux ne sont pas les seuls à utiliser les cavités des arbres. Nombreux sont les mammifères qui peuplent nos forêts et qui dépendent des cavités, excroissances et blessures des arbres : martres, fouines, lérots, écureuils, genettes ou encore chauves-souris déclinent si le nombre d’abris présents n’est pas suffisant.

Dans ces écosystèmes naturels, les grands prédateurs tels que le loup, le lynx et dans une moindre mesure l’ours ont toute leur place. Le lynx et le loup profitent des arbres renversés et restés au sol pour cacher leur tanière. Ils jouent un rôle indispensable dans la régulation des animaux sauvages, en chassant les animaux les plus faibles et les plus malades, permettant ainsi de conserver une faune en bonne santé. Par ailleurs, en limitant les effectifs d’ongulés sauvages par la prédation (cerfs, chevreuils et sangliers) et une dispersion des animaux qui se sentent menacés (écologie de la peur), les loups permettent aux plantes et aux arbres de se régénérer.

Avec plus de forêts en libre évolution, sans chasse, qui s’enrichissent au fil des années, on pourrait voir se développer de nombreux autres oiseaux qui craignent le dérangement, comme les cigognes noires, et observer la faune sauvage plus facilement. La faune cesserait de fuir systématiquement à l’approche des humains et retrouverait ses habitudes diurnes. Avez-vous, par exemple, déjà eu le plaisir d’entendre les cerfs bramer de jour ?

Au contraire, dans les espaces ouverts, un surpâturage des animaux domestiques a de nombreux effets négatifs comme la concurrence avec les ongulés sauvages et la disparition des insectes, détruits par les traitements antiparasitaires.

Les zones en libre évolution regorgent ainsi de vie qui peut se diffuser alentour.

Un soutien face aux aléas environnementaux et au dérèglement climatique

Les écosystèmes en libre évolution contribuent à améliorer la qualité de l’air. C’est le cas des zones humides, qui ont une capacité de stockage du carbone très importante, et des vieilles forêts.

En effet, plus nous laissons une forêt vieillir naturellement, plus sa biomasse est importante et donc plus la quantité de carbone stocké est importante. Par ailleurs, les forêts non cultivées qui ont une canopée dense laissent peu passer la lumière, via des processus d’absorption et de réflexion du rayonnement solaire, ce qui permet de diminuer la température ambiante et de réguler l’hygrométrie de la forêt.

Les écosystèmes en libre évolution jouent aussi un rôle dans la purification de l’eau. Dans les bassins versants boisés naturellement, dans lesquels les pressions anthropiques sont minimes (canalisation des activités touristiques sur les sentiers), l’érosion est réduite et la perméabilité des sols est augmentée. Les forêts captent ainsi mieux l’eau de pluie, retardant les pics de crue, voire évitant les inondations. Par ailleurs, une forêt en libre évolution a le temps de développer un réseau racinaire dans un sol riche, et ainsi de purifier l’eau plus efficacement.

Les zones humides préservées agissent comme des éponges naturelles qui peuvent stocker de grands volumes d’eau lentement libérés dans les rivières et les nappes phréatiques.

Les changements climatiques exposent les milieux naturels à une recrudescence d’événements extrêmes (incendies, tempêtes). Or les risques d’incendies sont plus modérés dans les forêts naturelles non exploitées. Ainsi, les feux de forêt se propagent plus facilement dans les forêts cultivées dominées par les conifères que dans les forêts mélangées associant des conifères à des essences feuillues, moins inflammables.

On trouve dans les forêts anciennes ou en libre évolution une composition complexe, avec de multiples strates, une densité moindre et un niveau d’humidité (présence de gros bois mort notamment) qui contribue à les rendre moins vulnérables aux incendies (2).

Même constat par rapport au vent : les forêts mélangées et avec une strate arbustive semblent en moyenne plus résistantes aux tempêtes quand elles associent conifères et feuillus.

En respectant la nature, l’homme se respecte

Dans les espaces en libre évolution, il ne s’agit pas d’exclure l’homme. Nous avons le droit de tout faire, sauf abîmer, détruire, exploiter, extraire, déranger.

N’oublions pas que l’homme fait partie de la nature. Il est normal de la respecter, notre survie en dépend, comme celle de tout le vivant ! La nature n’a pas besoin de nous, mais nous, nous avons besoin de la nature !

Comme le préconise la Commission Européenne, consacrons 10 % de notre territoire à la nature en libre évolution, d’ici 2030.

Laissez votre terrain en libre évolution et assurez-vous que les propriétaires futurs respecteront votre choix

Les obligations réelles environnementales (ORE) sont un dispositif foncier de protection de l’environnement.

Codifiées à l’article L. 132-3 du code de l’Environnement, les ORE sont inscrites dans un contrat au terme duquel le propriétaire d’un bien immobilier met en place une protection environnementale attachée à son bien, pour une durée pouvant aller jusqu’à 99 ans. La finalité du contrat ORE-libre évolution est de laisser la nature évoluer librement sans extraction ni intervention humaine (en dehors des promenades et études).

Dans la mesure où les obligations sont attachées au bien, elles perdurent même en cas de changement de propriétaire.

La mise en place d’une ORE nécessite que le propriétaire signe un contrat établi en forme authentique, avec un cocontractant qui peut être :

– une collectivité publique,

– un établissement public,

– ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement.

Si vous souhaitez protéger votre propriété à long terme, l’association Animal Cross propose d’être cette personne morale ou, si ce n’est pas possible, de vous mettre en relation avec un autre acteur.

Valérie Thomé, vice-présidente d’Animal Cross.

Mail : valerie@animal-cross.org

1. Vallauri D., Andre J., Dodelin B., Eynard-Machet R., Rambaud D. – 2005. Bois morts et à cavités, une clé pour des forêts vivantes : synthèse du colloque de Chambéry du 25 octobre 2004. TEC & DOC: 405 p

2. Prévention du risque incendie et biodiversité dans les forêts françaises – Note de l’UICN et de la société botanique de France : https://uicn.fr/wp-content/uploads/2023/03/note-uicn-cf-sbf-feux-de-foret_vf-1.pdf