La vie sauvage sauvage souffre. Sur les quelques 8 millions d’espèces animales et végétales estimées sur Terre, un million d’espèces sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies. A quelques exceptions près, ces extinctions sont le fait de l’homme. Il y a urgence à agir pour éviter la disparition des espèces qui existent encore. Mais que fait la France pour protéger la faune sauvage sur son territoire ?
Animal Cross est parti à la rencontre des plus grands naturalistes et experts français de la libre évolution afin d’en savoir plus :
Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, fondateurs de l’association Forêts sauvages, agrégés de l’Université, experts au Conseil scientifique régional du patrimoine naturel et, par-dessus tout, naturalistes de terrain passionnés.
Jean-Claude Génot, écologue, membre des Journalistes-écrivains pour la Nature et l’Ecologie et vice-président de Forêts Sauvages
Roger Mathieu, naturaliste de terrain depuis 50 ans, ornithologue et mammalogiste, auteur d’une cinquantaine de publications.

AC : Les aires naturelles protégées françaises protègent-elles la faune et la nature en général ?

Béatrice Cochet : Aujourd’hui, si on fait le bilan des surfaces réellement protégées en France, c’est-à-dire sans prélèvement de quelque nature qu’il soit, on arrive à une surface protégée qui est de l’ordre d’un peu moins de 1%, ce qui est totalement dérisoire.

Roger Mathieu : Il faut savoir qu’en France, les niveaux de protection les plus élevés sont les Parcs Nationaux et les Réserves naturelles. Si on additionne les surfaces des Parcs Nationaux et des Réserves naturelles, cela couvre très probablement moins de 1 % du territoire, donc cela ne fait pas grand-chose.

Gilbert Cochet : Il faut dire que sur les 1 % qui sont protégés aujourd’hui, très rarement c’est une protection intégrale. Même dans le cœur des Parcs Nationaux. Par exemple le cœur marin du Parc National des Calanques fait 40 000 hectares. Il n’y a que 4000 hectares de non-prélèvement. Pour le reste, on fait un petit peu ce qu’on veut comme ailleurs.

Roger Mathieu : Et à 90 %, les Réserves naturelles sont chassées, comme partout ailleurs. Cela parait incroyable, inconcevable pour le public mais c’est la stricte vérité ! Pour ce qui est des Parcs Nationaux, et c’est une particularité française, 2 Parcs Nationaux sont chassés, le Parc des Calanques et le Parc des Cévennes. Les autres ne sont pas chassés (NDLR : on parle des zones cœurs des Parcs Nationaux, car les zones d’adhésion sont chassées). Le Parc national en cours de création en Bourgogne sera chassé, en tout cas sur une grande partie de son territoire.

Gilbert Cochet : En France, la protection intégrale des habitats est très limitée, parce qu’on a une culture de gestionnite, de grands gestionnaires en chef de la nature, on aime bien gérer. Ceci étant dit, il existe des Réserves Biologiques Intégrales, notamment dans les forêts domaniales. On en est à peu près à 20 000 hectares. Dans le Vercors par exemple, on a une forêt de 2500 hectares où c’est vraiment une protection intégrale de l’habitat sur des décennies, voire des siècles. Les cœurs des Parcs Nationaux sont dans le même cas de figure, à quelques exceptions près, comme le Parc national des Calanques ou celui des Cévennes, qui est un parc habité. Mais en dehors de cela, on a des surfaces de plusieurs dizaines de milliers d’hectares qui sont laissées en libre évolution, suivie, avec des gardes et des relevés naturalistes. Mais ces zones-là font peut-être 0,5 % du territoire.

Roger Mathieu : Est-ce que la faune est bien protégée ? Non, non …C’est absolument certain. Les seules zones où la faune est vraiment protégée, ce sont les quelques Réserves Biologiques Intégrales (il y en a très peu) et c’est lorsque des associations ont la maîtrise foncière du site. Ces associations achètent des propriétés sur lesquelles elles font ensuite une gestion de naturalité, c’est à dire qu’elles n’y font rien ! Ne rien faire est un mode de gestion. Ça représente des confettis, sûrement moins de 10 000 hectares en France, c’est-à-dire rien !

AC : Et dans les Réserves Naturelles ? La nature n’est-elle pas mieux protégée ?

Roger Mathieu : Elle est mieux protégée qu’ailleurs, oui mais est-ce qu’elle est bien protégée ? Non.
Vous pouvez couper des arbres, pâturer, certes pas n’importe comment mais quand même, vous pouvez chasser dans plus de 90 % d’entre elles et y chasser comme partout ailleurs. Cela parait incroyable, inconcevable pour le public mais c’est la stricte vérité, vous pouvez vérifier !
Pour ce qui est des arbres et des forêts, on a le réseau Frene en Rhöne-Alpes . Ils prennent des forêts et disent qu’on ne va rien faire, qu’ils vont les laisser vieillir. Cela ne représente la aussi pas grand-chose et pour la faune, c’est autre chose, on y chasse !

Gilbert Cochet : Il y a très peu de Réserves naturelles dans lesquelles il y a une protection intégrale car bien souvent on ne maitrise pas le foncier. Dans la Réserve naturelle de la vallée de la Drôme, par exemple, on a coupé des arbres en forêt alluviale au cœur de la Réserve naturelle parce que ça appartient à un privé. La Réserve naturelle ne protège pas beaucoup. C’est terrible, mais c’est comme ça.

AC : Que faut-il faire à votre avis ?

Jean-Claude Génot : On manque de milieux en libre évolution.

Gilbert Cochet : Il faut à la fois augmenter les surfaces protégées, et en même temps à l’intérieur des surfaces déjà protégées, augmenter le degré de protection et la libre évolution.

Roger Mathieu : Une gestion qu’on appelle la naturalité. C’est à dire, on ne fait rien. Ne rien faire, ce n’est pas facile à comprendre, c’est un mode de gestion.

Jean-Claude Génot : C’est un phénomène qui commence à exister malgré la pression humaine car en France il y a un certain nombre de régions où il y a énormément de friches boisées (ou accrus forestiers) , il y a des espaces de plus en plus qui se libèrent, ou qui ne sont plus intéressants pour les éleveurs, les agriculteurs, parfois les forestiers ou du au morcellement foncier. Il y a des pans entiers de piémont de montagne, d’arrière-pays où la densité de population n’est pas importante où on a ces espaces. Mais ces espaces sont extrêmement mal considérés parce qu’ils échappent à l’homme, ils échappent au cycle économique et ils sont fantasmés comme étant des lieux où il y a des bêtes sauvages ou des vipères ou que sais-je. Il faudrait essayer de comprendre que ces milieux sont des milieux en transition vers des forêts qui si on a un peu de sagesse, si on a la patience d’attendre vont donner nos forêts vierges de demain, que verraient nos petits enfants et qui manquent en France cruellement. Mis à part quelques refuges de forêts de montagne, on a très peu d’endroits où on peut dire que la forêt n’est pas touchée depuis tant de siècles. Mis à part les réserves artistiques de Fontainebleau, qui sont considérées comme les plus vieilles forêts de France, il n’y a pas grand-chose.

Gilbert Cochet : Il y a plusieurs axes possibles.
Il faut augmenter les surfaces d’Aires protégées, en créant par exemple de nouveaux Parcs Nationaux. C’est tout à fait possible. Dans les Alpes, il y a largement la place de créer plusieurs Parcs Nationaux, dans les Pyrénées aussi, en montagne et en plaine, où ça manque. Il y a des projets qui sont en train de se réaliser de Parcs Nationaux fluviaux, sur les cours d’eau, sur les fleuves, c’est à développer. La France a, avec ses 500 000 km de cours d’eau, un potentiel énorme, une diversité inouïe. On pourrait monter jusqu’à 10 % d’Aires protégées. Cela a en même temps une valeur économique. Il ne s’agit pas de mettre sous cloche mais de mettre en place une nouvelle activité économique respectueuse de la nature.
Il faut remettre des densités naturelles et retrouver l’abondance. Il est anormal par exemple que le chamois soit en sous densité alors que c’est un animal qui ne pose aucun problème au niveau dégâts. Il faut protéger beaucoup mieux beaucoup d’espèces. L’histoire des espèces nuisibles, il faut quand même revenir là-dessus, c’est terminé, c’est du Moyen Age ! Et il y a des manques. Il y a des espèces disparues qui peuvent revenir parce qu’on va supprimer un barrage, et les poissons migrateurs vont revenir. Il peut y avoir aussi des réintroductions. On pourrait réintroduire le Pyrargue, la Sarcelle marbrée et toute une liste d’espèces dont on pourrait voir les effectifs augmenter et qui auraient toute leur place chez nous. Quand on fait l’inventaire de ce qui a disparu, on l’a oublié, mais on arrive à retrouver ça dans les textes anciens, en archéo-zoologie, etc. , on se rend compte qu’on avait une faune beaucoup plus diversifiée qu’aujourd’hui. Il faudrait retrouver cette faune diversifiée. Et puis la protéger au maximum pour pouvoir retrouver la proximité. Il n’est pas normal que le chevreuil s’échappe dès qu’une silhouette humaine arrive à 500 mètres. Il détale car il n’a qu’une peur, c’est qu’on lui mette une balle dans la tête ! Il faut retrouver la proximité, on a besoin de cette proximité en tant qu’espèce humaine !

Béatrice Cochet : On pourrait rêver à 2 % d’espace strictement protégés sans être extrémiste, ou même passer à 10 % comme nos voisins italiens, tout en restant compatibles avec des activités humaines quelles qu’elles soient et même des activités agricoles. Laisser 10 % du territoire français en libre évolution, sans activités humaines ne nous parait pas quelque chose d’excessif.
Jean-Claude Génot : Par essence la nature est sauvage. Elle existait avant l’homme et on a du mal, nous les humains, parce qu’on se place au centre de tout, à considérer qu’elle ne peut pas vivre sans nous. C’est ça je pense, qu’il faut vraiment remettre en cause. La nature n’a pas besoin de l’homme, mais nous nous avons besoin de la nature. On ne pourrait pas vivre car on est une part de cette nature. Le problème, c’est qu’on est devenus omniprésents partout et on oublie qu’on empiète sur la vie des animaux sauvages, la vie des espèces à grands territoires comme les grands prédateurs par exemple. C’est ça le vrai problème.

AC : Le président Macron a déclaré en mai 2019 vouloir «des aires marines et terrestres protégées à 30% du territoire d’ici 2022, dont un tiers “protégées en pleine naturalité”. Qu’en pensez-vous ?

Gilbert Cochet : Récemment, nous avons eu des déclarations du chef de l’Etat comme quoi il fallait protéger des surfaces beaucoup plus conséquentes. Il a parlé de 30 %, c’est extraordinaire ! Mais il faut regarder cela de près, car dans le même temps, on a créé 4 parcs naturels régionaux. Les Parcs naturels régionaux sont des parcs avec une charte pour vivre au mieux avec la nature, mais ils ne sont en aucun cas comparables aux Parcs Nationaux. Il n’y a pas de protection supérieure à ce qui n’est pas parc, au niveau des espèces et des espaces. Ce sont des secteurs qui veulent être des vitrines pour montrer comment on peut vivre avec la nature, mais on ne peut pas les mettre dans les zones protégées. En région Rhône-Alpes Auvergne, il y a pratiquement plus de Parcs naturels régionaux que non. Ces Parcs régionaux sont très répandus.
Ensuite il parle de 10 % en totale naturalité, mais cela n’est pas très précis. On attend de voir, car si un jour il y a 10 % du territoire en pleine naturalité, alors chapeau bas. On n’en est pas à 1 %, alors à mon avis, c’est un petit peu gratuit et un peu facile. Il faudrait déjà commencer par mettre en pleine naturalité les 1 % qui sont protégés. Comme par exemple pour le Parc National des Calanques, sur les 40 000 hectares de cœur marin, il faudrait protéger intégralement ces 40 000 hectares et non pas seulement les 4000 hectares. Si on veut montrer une bonne volonté, ce n’est pas compliqué. Il y a de quoi faire et on peut lui donner les endroits ! Mon livre intitulé « Ré-ensauvageons la France* » donne pas mal d’idées là-dessus !

Ré-sauvageons la France – Plaidoyer pour une nature sauvage et libre » – Actes Sud – 2018

Stoppons la chasse dans les Aires Protégées en protection dite “forte” !

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