La colère des agriculteurs est parfois justifiée : il est normal de réclamer une juste rémunération de son travail, avec des prix de vente équitables pour les produits agricoles ainsi qu’une simplification administrative afin de réduire la charge bureaucratique qui pèse sur eux. Nous ne pouvons aussi que les soutenir quand ils demandent la promotion de l’agriculture familiale et le soutien aux jeunes agriculteurs, notamment par le biais de dispositifs d’installation et de transmission des exploitations ou la reconnaissance et la valorisation des savoir-faire locaux, de la diversité des productions agricoles françaises et des labels de qualité.
Mais ils ont demandé, et parfois obtenu aussi bien d’autres choses. Comme l’arrêt de l’interdiction des pesticides s’ils ne sont pas interdits au niveau européen et l’interruption du plan Ecophyto, grave retour en arrière qui menace à la fois la santé des citoyens, des agriculteurs et des écosystèmes. Comme des dérogations aux règles protégeant les prairies et les zones humides qui justement avaient été instaurées pour préserver la biodiversité et se protéger des conséquences du changement climatique qui frappent violemment les agriculteurs.
Et la garantie d’une production française dans les rayons ne suffit pas.
Les véritables causes de la crise agricole
Les agriculteurs oublient les véritables causes du malaise. Leur mode de production ne correspond plus ni aux attentes sociétales, ni au monde d’aujourd’hui. Ils reproduisent un modèle d’agriculture productiviste, qui s’est développé en réponse à la nécessité de produire davantage pour nourrir une population croissante après la seconde guerre mondiale. Ce modèle était caractérisé par l’utilisation massive d’intrants chimiques, de machines agricoles et des pratiques de monoculture à grande échelle.
Le résultat est là : aujourd’hui en France, dans deux élevages sur trois, les animaux sont élevés de façon industrielle, en cages ou entassés dans des bâtiments, des enclos ou des bassins, sans aucun accès à l’extérieur.
L’élevage nécessite énormément d’eau, pour abreuver les animaux mais aussi pour cultiver les céréales que les animaux consomment. A cause des déjections des animaux, des engrais et des pesticides utilisés pour les cultures fourragères, l’élevage est la plus grande source de pollution de l’eau. Et l’élevage intensif favorise l’apparition de nombreuses maladies infectieuses.
L’agriculture intensive, avec l’utilisation massive d’intrants chimiques a conduit à la perte d’habitats pour de nombreuses espèces. Les pesticides tuent les oiseaux, les insectes, les pollinisateurs et les organismes du sol.
En France métropolitaine, 14 % des mammifères, 24 % des reptiles, 23 % des amphibiens et 32 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition du territoire, tout comme 19 % des poissons d’eau douce¹. L’agriculture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui a sa part de responsabilité.
Un décalage avec les attentes sociétales et écologiques
Les agriculteurs sont en décalage avec la réalité d’aujourd’hui et avec les attentes sociétales. Au fil du temps, de nouvelles préoccupations sont apparues, notamment en matière de bien-être animal, de protection de l’environnement et des écosystèmes, de préservation des ressources naturelles, de diversité agricole, de santé publique et de qualité des aliments.
Rien ne sert de revenir en arrière. Ils doivent aujourd’hui construire une autre agriculture, un autre modèle, plus vertueux, sans doute à petite échelle, qui réponde aux attentes sociétales et écologiques et qui soit bonne pour eux.
Les syndicats agricoles ont une grosse part de responsabilité dans cette crise, s’accrochant aux vieux modèles. Il en va de leur responsabilité d’accompagner les agriculteurs vers un modèle d’avenir viable pour les prochaines décennies.