Battues très bruyantes, chasse à courre avec multiples allées et venues de la meute, des cavaliers et des suiveurs, divagation des chiens de chasse, tirs en tous genres, la chasse tue la faune mais pas seulement. Elle est à l’origine d’une profonde perturbation de l’ensemble de la faune sauvage.
Une appréciation de la distance de fuite considérablement augmentée
Pour assurer sa survie lors des parties de chasse, les animaux sauvages n’ont d’autres choix que de s’éloigner. Leurs distances de fuite sont variables selon les individus et les espèces. Certains ont une distance de fuite assez faible. Ce sont des proies faciles pour les chasseurs. D’autres ont intégré le danger de mort lié à la présence humaine, ce qui les conduit à fuir dès qu’ils perçoivent un signe de leur présence.
Roger Mathieu, naturaliste, affirme que « Contrairement à une idée largement répandue, la plupart des espèces animales sauvages sont naturellement peu farouches et il suffit pour s’en persuader d’observer le comportement de ces espèces dans les grandes réserves non chassées. La chasse effectue sur toutes les espèces une sélection artificielle en éliminant prioritairement les individus peu sensibles à la présence humaine (très vulnérables au tir…) et en favorisant les individus très farouches : ceux qui statistiquement ont une bien meilleure chance d’échapper aux chasseurs. Ce ne sont pas les animaux qui sciemment « apprennent » à se méfier des hommes (explication classique mais erronée), mais bien une sélection (ici artificielle), de type darwinien : seuls survivent les individus inapprochables au détriment du génotype calme et tolérant, progressivement éliminé par le tir. » (…)
« Dans la rade de Genève, non-chassée depuis plus de 25 ans, la distance de fuite des canards, tout à fait sauvages, comme les nettes rousses, nyrocas, milouins… est souvent de quelques mètres (ce qui fait la joie de tous les promeneurs). En France, par exemple sur les bords du Rhône, ces mêmes espèces s’enfuient dès qu’on essaie de les approcher à moins de 150 m. Les hérons cendrés, encore persécutés chez nous (malgré leur protection officielle) sont très farouches et s’envolent à plus de 200 m ; dans les canaux hollandais, où la protection est ancienne et respectée, ces oiseaux s’approchent à quelques mètres des hommes. Pour le chamois, le fait de le chasser multiplie par 10 ou 20 les distances de fuites. » [1]
Cette sélection et « fabrication » d’animaux stressés et peureux n’est pas sans conséquence pour l’espèce. Roger Mathieu affirme que « La traduction biologique est une population fragilisée et démographiquement peu dynamique. ».
Une augmentation de l’énergie dépensée, une baisse de la reproduction
La chasse déclenche chez les animaux sauvages des activités coûteuses en énergies (multiplication des envols et déplacements, surveillance, etc.). Parallèlement, elle diminue le temps accordé aux activités permettant d’acquérir de l’énergie (repos, nourrissage, etc.). Les estimations ou simulations de ces pertes peuvent atteindre 25 % de la dépense énergétique journalière. Elle a pour conséquence l’affaiblissement de la condition physique des animaux et de façon indirecte la baisse de leur taux de reproduction, y compris chez les espèces non chassées.
Selon le rapport « Effets du dérangement par la chasse sur les oiseaux d’eau, 2003 »[2], synthèse d’une soixantaine d’études et ouvrages scientifiques, « les fuligules milouins stationnés sur une réserve en Irlande consacrent en moyenne 3,5 fois moins de temps diurne à l’alimentation pendant la période de chasse (autour de la réserve) que lorsque la chasse est fermée. », « la dépense énergétique engendrée par les dérangements sur les Bernaches cravants du Norfolk (GB) augmente de 11 à 38% selon les cas [3]. Les simulations indiquent une augmentation de l’ordre de 25% de la dépense énergétique journalière pour un dérangement total inférieur à 50 minutes par jour » et « chez les canards, l’accroissement de vigilance pendant le sommeil à cause des dérangements pourrait, en sus des conséquences physiologiques d’une privation de sommeil, avoir également un impact sur la balance énergétique. »
L’impact de ces dérangements peut aussi se manifester par l’abandon d’une couvée ou nichée. Or on sait que les périodes d’incubation des œufs et de couvée des jeunes sont particulièrement sensibles. La survie des jeunes dépend essentiellement des soins apportés par les parents.
Un changement du rapport au temps, une modification des chaines alimentaires
Une nouvelle étude parue dans la revue Science en juin 2018 montre que l’homme, qui exerce principalement ses activités le jour, dérange les animaux diurnes qui deviennent ainsi plus nocturnes.
Pour mieux comprendre les modifications de l’activité des mammifères en réponse à la présence humaine, les chercheurs de l’université de Berkeley ont réalisé une méta-analyse. Ils ont compilé 76 études portant sur 62 espèces réparties sur les six continents, incluant des données recueillies de différentes manières : observations directes, caméras, colliers radio, GPS…
Les chercheurs ont comparé la vie nocturne des animaux lorsqu’ils étaient peu dérangés ou beaucoup dérangés par les humains. En moyenne, ils devenaient plus nocturnes quand ils étaient perturbés par l’Homme : un animal qui répartit de façon égale son activité entre le jour et la nuit augmente son activité nocturne de 68 % à cause de la présence humaine.[4]
Les chercheurs ont trouvé que chez différentes espèces de mammifères, allant des coyotes aux cerfs, aux tigres, ou aux sangliers, les animaux deviennent plus nocturnes à proximité des humains.
Ce changement a plusieurs conséquences : leur régime alimentaire peut être perturbé parce qu’ils ne se nourrissent plus des mêmes proies ou ils risquent de devenir plus vulnérables aux prédateurs. Des chaînes alimentaires sont donc perturbées, des communautés écologiques entières sont donc susceptibles d’être transformées.[5]
D’autres espèces apeurées par les hommes et leurs infrastructures réduisent purement et simplement leur activité et passent plus de temps au « repos » que pour la recherche de nourriture, ou des activités qui favorisent un bon état physique.
Le dérangement des animaux par la chasse a aussi pour conséquence de modifier les dates de migration des oiseaux.
Une étude menée sur un ensemble de sites finlandais exploités comme étapes migratoires par des canards de surface, montre que le dérangement provoque un départ anticipé de 75 % des oiseaux dès l’ouverture de la chasse, départ qui n’est pas compensé par l’augmentation des stationnements sur les sites protégés (Väänänen, 2001). [6]
A l’inverse, lors de la migration prénuptiale, cela se traduit souvent par une arrivée plus tardive sur les lieux de reproduction. Les animaux ont de moins bonnes conditions physiologiques (diminution de la masse corporelle, graisse et muscles, liée aux pertes d’énergie), ont un stress accru et sont bien entendu moins nombreux puisque la mortalité est augmentée. En conséquence, le nombre d’individus aptes ou enclins à se reproduire diminue, et les conditions de reproduction sont dégradées (ponte tardive et moindre pour les espèces migratrices, reproducteurs fragilisés, etc.).
Une modification de la distribution géographique et des effectifs locaux
La chasse induit une modification de la distribution géographique des espèces, particulièrement visible chez les oiseaux d’eau.
Sur les sites chassés, les densités des espèces d’oiseaux sont généralement 5 à 50 fois inférieures aux autres sites. Les scientifiques Frikke et Laursen ont montré que la présence d’un seul chasseur pour 1 km de côte (ou moins de 50 coups de fusil par heure), entraine l’abandon du site par les canards de surface. Tamissier et Saint Gérand ont observé que dans les départements où s’exerce la chasse de nuit des oiseaux d’eau, les effectifs de canards sont environ 10 fois inférieurs aux autres départements côtiers. Au lac du Bourget (Savoie), « les effectifs ont augmenté d’un facteur 2,1 pour les canards de surface et d’un facteur 5,0 pour les fuligules en relation avec l’extension des réserves de chasse […]. Sur le lac de Grand-lieu (Loire-atlantique), la fermeture provisoire de la chasse en janvier 2000 (mise en place en lien avec les dégâts occasionnés par l’échouage du pétrolier l’Erika) s’est traduit par un accroissement de 55 à 65% des effectifs par rapport à ceux observés en janvier 1998 et 1999 respectivement ; dans le même temps, le nombre d’espèces est passé à 23, contre 14 et 19 respectivement » indique le rapport cité précédemment.
A l’inverse, nous avons donc, en période de chasse, des populations d’oiseaux augmentant de façon significative sur les zones non chassées. Ces modifications de la distribution géographique et des effectifs locaux des populations ne sont pas sans conséquence pour les milieux et les espèces. Cela provoque notamment une sous-exploitation des zones chassées et, réciproquement, une surexploitation trophique des espaces non-chassés. La modification de la taille des populations et la création de fortes concentrations d’individus peut également nuire à l’espèce (apparition d’épizooties, manque de ressources, etc.). [7]
De graves problèmes de santé
La chasse a également un impact négatif non négligeable l’état de santé des espèces chassées.
Le site « Conservation de la nature » fait état d’environ 250 millions de cartouches tirées par les chasseurs sur le territoire français chaque année (une cartouche possède en moyenne 30 g de plomb). Les cartouches à grenailles de plomb sont responsables d’intoxications et d’un nombre conséquent de cas de saturnisme aviaire. Selon l’EChA, un à deux millions d’oiseaux meurent chaque année de saturnisme, soit en picorant les grenailles, soit, pour les rapaces, carnivores, en se nourrissant d’animaux intoxiqués.[8] [9]
Des pics de collisions avec les véhicules
En automne, l’augmentation des activités cynégétiques engendre des mouvements d’animaux et peut expliquer certains pics comme ceux observés chez le renard et le sanglier.[10]
Collisions avec des véhicules :
La peur, le stress, la mémoire de la perte de leurs congénères
Peter Wohlleben, dans son ouvrage La vie secrète des animaux explique bien les conséquences de la chasse sur les animaux : peur, stress, mémoire de la perte de leurs congénères. « Quand la chasse a été interdite à Genève, les chevreuils, les cerfs et les sangliers ont changé de comportement. Comme ils n’ont plus peur, ils se montrent désormais toute la journée. Mais les sangliers genevois ne sont pas les seuls à se comporter différemment. Tout autour, y compris dans la France voisine, on tire encore à qui mieux mieux. Alors quand la chasse est ouverte, notamment lors des battues automnales avec leurs meutes de chiens, les sangliers révèlent leurs talents de nageurs. Dès que l’écho du cor retentit et que les premières détonations se font entendre, les cochons sauvages quittent en nombre la rive française pour rejoindre le canton de Genève en traversant le Rhône à la nage. Là, ils sont en sécurité et peuvent faire un pied de nez aux tireurs français.
Ces sangliers nageurs montrent 3 choses. D’une part qu’ils identifient le danger et se rappellent la chasse de l’année précédente, durant laquelle des membres de la famille furent blessés ou abattus sous une pluie de plombs. D’autre part, que la peur est indispensable, car c’est elle qui les pousse à quitter le territoire sur lequel ils se sont sentis si bien tout l’été. Enfin, qu’ils se souviennent qu’ils seront en sécurité dans le canton de Genève. Sur une période longue de plus de quatre décennies, c’est devenu une tradition, qui se perpétue de génération en génération chez les sangliers : en cas de danger, on va mettre à l’abri de l’autre côté du fleuve. »
« Il est parfaitement évident pour mes collègues comme pour les chasseurs que le gibier engrange des expériences. Voici comment une harde de cervidés vit la mise à mort d’un congénère : une détonation retentit et, tout à coup, ça sent le sang. Souvent, le tir, imparfait, n’a fait que toucher l’animal qui, pris de panique, peut encore courir quelques mètres avant de s’effondrer en gigotant. Ce spectacle, associé à l’odeurs d’hormones du stress, se grave profondément dans la conscience des membres de la harde. Aussi, quand ils entendent des craquements en provenance du mirador, dont le chasseur descend pour récupérer le gibier abattu, les animaux, qui sont intelligents font le lien. Les fois suivantes, ils se méfient et regardent en direction du mirador avant de pénétrer dans la percée, pour vérifier s’il y a quelqu’un là-haut. » [11]
« L’intrusion de l’homme dans l’habitat du gibier est source de stress » explique encore Dr Petrak, « la part du temps qu’il consacre à vérifier qu’il est en sécurité passe de cinq à plus de trente pour cent quad un bipède fait de fréquentes incursions dans le secteur. » [12]
Le deuil, comme peuvent le ressentir les humains
Que peuvent ressentir les animaux sauvages qui ont perdu tout ou partie de leur famille après une journée de chasse ?
Des animaux peuvent-ils connaître des émotions comme la tristesse, le déni ou le découragement à la perte d’un proche ? La question intéresse de plus en plus de chercheurs et a même donné naissance à une discipline appelée thanatologie comparée.
L’été dernier, les images d’une orque de la côte ouest transportant son bébé mort-né ont fait le tour de la planète. La femelle J35, surnommée Tahlequah par les observateurs, a mis bas fin juillet après 17 mois de gestation. Le bébé est mort à la naissance. Malgré cela, la mère a continué à garder son petit à la surface de l’eau pendant 17 jours, plongeant pour le récupérer quand il s’enfonçait dans les flots. Un exercice si épuisant que les scientifiques qui observent cette population d’épaulards ont craint pour sa vie.[13]
Peter Wohlleben raconte le deuil chez la biche. « Il arrive que la biche dominante vive un drame : la mort de son faon. « Jadis, cette mort était surtout le fait d’une maladie ou d’un loup venu apaiser sa faim, mais de nos jours, c’est souvent le coup de fusil d’un chasseur qui est en cause. Chez les cerfs commence alors le même processus que chez nous, les hommes. C’est d’abord un incroyable désarroi, puis le deuil commence. Le deuil ? Les cerfs peuvent-ils éprouver quelque chose de tel ? Non seulement ils le peuvent, mas ils n’ont pas le choix : le deuil les aide à faire leurs adieux. Le lien qui unit la biche à son petit est si fort qu’il ne peut se dénouer d’un instant à l’autre. Il faut d’abord que la biche comprenne doucement que son faon est mort et qu’il lui faut se séparer du petit corps. Elle ne cesse de revenir sur les lieux du drame et appelle son petit, même si le chasseur l’a déjà emporté… »
Les autres animaux vivent la même douleur. Une jument peut veiller son petit mort-né des heures durant. Un chevreau peut pleurer sa maman des semaines durant, les grands singes peuvent se réunir autour d’un membre décédé et le toucher comme pour essayer de le réveiller. Les pies s’appellent et se regroupent autour du cadavre de leur congénère en chantant et certaines le couvrent ou l’entourent de brins d’herbe. Les éléphants peuvent emmener leurs morts avec eux en les traînant pendant des jours, ou se réunir autour du cadavre, le sentir et le recouvrir de feuilles. Et on peut aussi parler de Koko, un gorille qui a appris le langage des signes et qui a dû faire le deuil de son ami chat.
Sources :
[1] Roger Mathieu, Livre blanc sur la chasse LPO Auvergne Rhône-Alpes – 2011 https://auvergne-rhone-alpes.lpo.fr/images/chasse/livre_blanc_sur_la_chasse.pdf p 59
[2] Effets du dérangement par la chasse sur les oiseaux d’eau, Revue d’écologie, 2003
[3] Riddington et al., 1996
[4] Gaynor et al., « The influence of human disturbance on wildlife nocturnality », Science, Vol 360, pp 1232-1235, June 2018
[5] http://lemondeetnous.cafe-sciences.org/2018/07/limpact-de-lactivite-humaine-sur-la-vie-sauvage/
[6] Effets du dérangement par la chasse sur les oiseaux d’eau revue de littérature A. Tamisier, A. Béchet, G. Jarry , J-C. Lefeuvre & Y. Le maho
[7] France sans chasse – rapport Chasse et Biodiversité
[8] https://echa.europa.eu/fr/-/echa-identifies-risks-to-terrestrial-environment-from-lead-ammunition
[9] Baron M., 2001. Suppression de l’utilisation de la grenaille de plomb de chasse dans les zones humides exposant les oiseaux d’eau au saturnisme. Rapport MEDD, 20p
[10] Rapport d’analyse de la répartition des collisions faune/véhicule DIR Ouest – Données récoltées de 2014 à 2016 Mars 2018 – SPN 2017 – 102 Lucille BILLON
[11] La vie secrète des animaux, Peter Wohlleben, ed Les arènes, 2016.
[12] Dr Petrak, M. « Rotwild als erlebarres Wildtier : Folgerungen aus dem Pilotproject Monschau-Elsenborn für den Nationalpark Eifel », in Von der Jagd zur Wildbestandregulierung », NUA, cahier n°15, p. 18-24,NUA, mai 2004
[13] Gaëlle Lussiaà-Berdou – Radio Canada – https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1151412/deuil-animaux-baleines-singes-reaction-mort-humain-maman-bebe-recherche