L’aquaculture : une solution à la surpêche ?

 

Face au déclin des ressources marines, l’élevage des poissons et fruits de mer, en bassins ou en cages immergées en eau douce ou marine,  est souvent présenté comme la solution alternative la plus équilibrée. C’est effectivement le secteur alimentaire qui connaît la plus forte croissance depuis les années 70 : de 2 millions à 51 millions de tonnes en 50 ans. Mais l’aquaculture est aussi synonyme de destruction massive d’autres espèces, de souffrance, et de danger pour la santé humaine.

Plus d’un quart des poissons consommés dans le monde sont des produits de l’aquaculture

En France, en 1970 , 5% des poissons consommés sont d’élevage. Aujourd’hui, ce chiffre atteint les 40%….( www.ifremer.fr). Le CNRS estime que d’ici à 2030, l’aquaculture produira environ 85 millions de tonnes / an pour suivre la croissance démographique en permettant aux acheteurs de maintenir leur niveau de consommation actuel. ( www.cnrs.fr/aquaculture)

Des poissons carnivores qui mangent de 4 à 15 fois leur poids d’autres poissons

Pour produire 1 kg de poisson carnivore ( saumon ; bar ; daurade d’élevage) , il faut 4 kg de farine de poissons sauvages et 15 kg de ces mêmes farines pour 1 kg de thon rouge d’élevage. C’est ainsi qu’aujourd’hui il existe déjà un fort risque de surpêche de ces espèces sauvages à faible valeur commerciale appelées «  poissons-fourrages » !

D’après le rapport de la FAO ( www.fao.org / pêches et aquaculture  2008), l’aquaculture utilise  57% de farine de poisson et 87 % d’huile de poisson issues de la pêche mondiale. Elle s’oriente maintenant vers une nourriture à base de protéines végétales et vers le développement d’espèces herbivores (certaines espèces de carpes  et tilapias).

Des conditions d’élevage le plus souvent irrespectueuses du bien-être animal

Surpeuplement des bassins et des cages d’élevage pour des raisons de rentabilité économique

Ce surpeuplement se traduit par un stress répété, repérable au comportement des poissons : nage en cercle, frottement contre les bassins ou les congénères ; agressivité…Des  pathologies et des blessures physiques en résultent, principalement sur les nageoires.

Risques sanitaires  et utilisation massive d’antibiotiques et de désinfectants

Comme dans l’élevage industriel pour la viande, les animaux, du fait de la forte concentration dans les bassins, sont davantage sujets aux virus et maladies. D’où une contamination accrue –  y compris des espèces sauvages quand des poissons d’élevage s’échappent des bassins –  et une utilisation massive d’antibiotiques et de produits désinfectants dont nous retrouvons des résidus dans la chair des poissons et fruits de mer que nous consommons. Certaines bactéries devenant résistantes à tous ces  traitements sanitaires entraînent de véritables épidémies qui peuvent tuer des élevages entiers : exemple des crevettes ; voir le site www.oceanpolicyansdfairfish.org ( « suspicious crevettes ») . Ces bactéries résistantes  constituent également un risque réel pour la santé humaine.

Nourriture douteuse et privation insupportable

Des zones d’ombre persistent  sur l’origine et la qualité  de la nourriture qui se présente en général sous  forme de granulés où sont mélangées farines et huiles de poissons, de céréales et  graines protéagineuses (colza, soja…) . Utilise-t-on aussi des farines provenant d’animaux terrestres ? une  nourriture OGM  ?

Avant la date prévue pour l’abattage, les poissons d’élevage sont privés de nourriture afin que les intestins se vident ; ceci pour une période allant de quelques jours à 2 semaines selon les espèces. Cette période de privation de nourriture est insupportable….

Manipulations et transports trop longs

Ce sont souvent des moments où le poisson est exposé  hors de son environnement aquatique. Et plus cela dure, plus la souffrance est grande…

Abattage : trop souvent générateur de souffrances

Les techniques générant le moins de souffrance sont la percussion- manuelle o uautomatique- ou l’électronarcose (application d’un courant électrique dans l’eau ) car la mort est quasi-instantanée.

Celles entraînant la plus grande souffrance sont la suffocation à l’air libre ou sur la glace ; le passage d’un flux de CO2 dans l’eau ou la coupe des ouïes alors que le poisson est vivant.

Voir le site : www.ciwf.org/compassion in world farming

Des chercheurs de l’Inra  reconnaissent que le poisson est un être très sensible à son environnement et que l’équilibre est vite perturbé quand on modifie les variables de l’aquaculture ( qualité de l’eau, densité, alimentation ; propreté des bassins ; traitements….).

Et si l’on parlait enfin de la souffrance des poissons ?

Depuis plusieurs années, cette question sur le ressenti de la douleur par les poissons anime la communauté scientifique. A la demande de la commission européenne ( EFSA) , le groupe scientifique sur la santé et le bien-être des animaux (groupe AHAW) a émis un avis sur l’approche globale du bien-être des poissons et sur le concept de « sentience » (aptitude à ressentir la douleur, la peur, le stress) ; avis adopté le 29 janvier2009.

Il est admis que le concept de bien-être est le même pour tous les animaux (mammifères, oiseaux, poissons) utilisés dans l’alimentation humaine.

Même si pour l’instant, le bien-être des poissons n’a pas été étudié de manière aussi approfondie que chez les autres animaux, il est d’ores et déjà admis que les poissons sont dotés d’organes sensoriels très sophistiqués .

Des études plus ciblées, comme celle de la  biologiste britannique Lynne Sneddon  de l’université d’Edimbourg (exemple de la truite arc-en-ciel ),  ont démontré que  les poissons ont  des récepteurs à la douleur appelés « nocicepteurs » par lesquels ils ressentent la souffrance, la peur , le stress.

En France l’Inra ( www.Inra.fr)  et l’Ifremer ( www.ifrmer.fr/aquaculture) poursuivent des études sur le bien-être des bars et daurades d’élevage, montrant que des situations de stress entraînent une modification de leurs habitudes alimentaires. Des chercheurs ont observé que  chez le poisson exposé à un stress répété – ce qui est le cas dans les élevages- les réponses peuvent être inadaptées et provoquer des pathologies.

La commission européenne réclame l’éclairage des scientifiques afin de proposer une législation  visant à diminuer les souffrances des poissons et à améliorer leur bien-être.

Déjà, depuis le 1er septembre 2008, la Suisse a modifié la loi sur la protection des animaux reconnaissant que les poissons sont sensibles à la douleur. ( ex : interdiction de laisser agoniser un poisson au fond d’un bateau jusqu’à ce qu’il meure étouffé ).

Quelques recommandations pour une consommation responsable

  • Modérons notre consommation de produits de la mer, en variant les espèces et en évitant la période de reproduction .
  • Concernant notre santé , voir les recommandations de l’agence française de sécurité sanitaire des aliments : site www.Afssa.fr
  • Renseignons-nous sur les  espèces les plus menacées ou surexploitées. Exemple : le thon rouge, le cabillaud, les poissons des grands fonds comme le sabre, l’empereur, le grenadier…Consulter les listes disponibles sur le site www.wwf.org ou www.pourunepechedurable.fr
  • Renseignons-nous également sur le mode de pêche ( si possible pas de poisson issu de la pêche au chalut) et évitons le poisson d’élevage,  surtout pour les espèces carnivores ( saumon, bar, daurade).
  • Préférons les poissons pêchés localement.
  • Privilégions les labels Bio ou MSC.

Le label  Bio AB garantit en France un poisson d’élevage respectant un cahier des charges ( organisme certificateur : www.qualite-France.com) : une densité moindre dans les bassins et des eaux de 1ère qualité ( classe A) , une nourriture saine sans aucun produit d’animaux terrestres, composée de farines de poissons issues de pêches gérées par quotas, de végétaux issus de l’agriculture bio et sans OGM, de vitamines et de minéraux , une absence d’antibiotiques et de colorants.

Le label MSC : le «  Marine Stewarship Council » est une organisation internationale indépendante qui vise à favoriser une pêche durable avec un programme d’éco-étiquetage « MSC » seul label garantissant les conditions d’une pêche évitant la surexploitation  des espèces et la dégradation des écosystèmes marins. En choisissant les produits labellisés MSC, nous encourageons la gestion responsable de nos ressources issues de la pêche et nous contribuons à une meilleure santé de nos océans. 57 produits de la mer labellisés MSC sont actuellement disponibles en France, y compris dans la grande distribution. Voir le site : www.msc.org

  • Vérifier l’étiquetage  qui doit indiquer la dénomination de l’espèce, le mode de production ( type de pêche ou élevage) et la zone de capture ou le pays d’élevage.

 

En 2009 , le conseil national de la consommation s’est dit favorable à un étiquetage spécifique pour les poissons nourris sans OGM.

Mais cet étiquetage ne concerne que les produits bruts non transformés. C’est ainsi que  le problème de l’étiquetage demeure car nombre de produits de la mer sont rapidement transformés, cuits, panés, intégrés dans des mélanges ( ex : crevettes et fruits de mer)  et il n’est plus possible d’en vérifier le mode de production et d’alimentation, la provenance.

La commission européenne souhaite quant à elle , l’élaboration d’un étiquetage relatif aux conditions de vie des animaux ( avec plus de contrôles  des conditions d’élevage et de transport)  pour permettre à un label européen de voir le jour….

Voir aussi notre article sur la pêche industrielle