Ubiquistes, opportunistes et très adaptables, les corbeaux et les corneilles sont pourtant chassables et classés « nuisibles ». On estime qu’il existe en France 800 000 à 1.3 million de couples de corneilles noires (2009-2012), avec un effectif stable (STOC 2002-2015). La population de corbeaux freux est estimée, elle, entre 200 000 et 350 000 couples (2009-2012), sur le déclin à hauteur de 45 % depuis 1989 (Issa et Muller 2015). Des centaines de milliers de corbeaux freux et plusieurs millions de corneilles noires sont tirés et piégés chaque année en France (source LPO). Classés « susceptibles d’occasionner des dégâts » dans 84 départements pour la corneille noire et dans 58 départements pour le corbeau freux, ils sont chassés et piégés toute l’année.

Pourquoi ?

Une ancestrale réputation d’oiseaux de malheur leur colle aux ailes, ils ont même donné leur nom aux dénonciateurs anonymes.

Corneille

Les corneilles sont très consommatrices d’œufs d’oiseaux nicheurs, chassables ou non, comme de petits mammifères sauvages (jeunes lièvres) et de basse-cour ; elles peuvent capturer des poussins. Autant de raisons qui en font l’ennemi juré des chasseurs qui voient en elles des concurrents directs à leur chasse loisir.

On lui reproche surtout les dégâts sur les cultures notamment lors des semis. Or il existe des solutions pour éviter ces problèmes. Un semis effectué immédiatement
après le travail du sol et enfoui suffisamment profondément leur échappera. De plus, des haies proches des cultures favorise la présence des rapaces et contribue à éloigner les corvidés.

 

Corbeau

Les corbeaux freux sont, eux, plus la cible des agriculteurs pour les dégâts qu’ils occasionnent sur le maïs, le blé, le tournesol ou les jeunes pousses.

Oiseaux très intelligents, les corneilles et les corbeaux freux sont des opportunistes qui s’adaptent remarquablement aux changements ; c’est pourquoi ils se dirigent en masse vers les villes où la nourriture y est abondante. On notera par exemple qu’une de leur capacité à s’adapter est l’hybridation de la corneille noire avec la corneille mantelée qui, elle, est protégée.

 

Evolution de l’indice d’abondance de la population nicheuse de Corneille noire Corvus corone et du corbeaux freux corvus frugilegus en France  (Jiguet 2016)

Sont-ils mieux accueillis par les citadins ?

Dans les villes, il n’est malheureusement pas rare d’assister, suite à l’intervention de riverains, à des opérations de destruction des nids par les services municipaux réalisées par l’ACCA locale ou en battue administrative sous la responsabilité d’un commandant de louveterie.

Plusieurs centaines de villes en France ont recours à ces méthodes ; les motifs évoqués pour justifier ces opérations sont souvent les mêmes : les nuisances sonores au printemps, à la naissance des petits et l’abondance de fientes. Il faut savoir que la perception humaine du bruit est subjective. Des mesures de niveau sonore réalisées à Berne ont montré que les valeurs émanant des corbeaux freux sont nettement inférieures au niveau sonore du trafic.

Qu’en est-il dans le monde rural ?

La manière dont sont traités les oiseaux capturés (et le plus souvent détruits) échappe à tout contrôle : négligence des piégeurs, tortures et souffrances inutile, empoisonnement, exposition de cadavres, etc.

Un rôle pourtant majeur dans les écosystèmes


Un rôle d’équarrisseur et de nettoyeur

Comme charognard, la corneille, outre son régime principal de fruits et de déchets,  joue un rôle d’équarrisseur clé dans le cycle alimentaire naturel. Dans l’agriculture, elle accomplit même une tâche prépondérante en qualité d’agent sanitaire : des animaux sont régulièrement tués lors du fauchage de la moisson. Il peut s’agir de lièvres, de chevreuils, d’oiseaux nichant directement au sol, de campagnols. Les corneilles repèrent très vite ces cadavres et contribuent naturellement à leurs rapides disparitions. Elles empêchent de cette manière la contamination de l’herbe coupée et préviennent donc la souillure des aliments destinés aux bétails.

Ce sont nos vautours à nous. Elles nettoient nos routes et autoroutes des milliers de victimes du trafic routier (oiseaux, mammifères, insectes, batraciens, etc…).

Dans les campagnes, les corneilles se nourrissent aussi des parasites sur le dos des animaux des vaches et moutons et évitent la propagation de ceux-ci.

Au Puy du Fou, mis en confiance par leurs partenaires humains, 6 corbeaux freux assurent tous les jours le ramassage des mégots et des déchets du parc.

 

Un rôle de protecteur des cultures

Un agriculteur avisé sait reconnaître les services rendus par les corbeaux freux car ils détruisent bon nombre d’insectes « indésirables pour les récoltes agricoles », de petits rongeurs destructeurs de récoltes comme les campagnols et autres micromammifères qui sont une grande source de protéines pour les jeunes.

Une des nourritures des corbeaux freux, et dont ils nourrissent leurs jeunes, sont les gros vers blancs encore inactifs, qui donnent ultérieurement naissance aux hannetons, ennemis si nets de la culture qu’en certains endroits, comme on le sait, ils sont détruits au moyen d’épandages de produits nocifs non sélectifs, au détriment des précieux auxiliaires agricoles que sont les passereaux et autres oiseaux.

 

Un rôle de dissémination des graines

En dehors de la période de reproduction, les corbeaux freux ont une alimentation essentiellement végétarienne. Ils participent ainsi activement à la dissémination des graines et au repeuplement naturel des espèces végétales. Au stade où l’on sait que la pollinisation devient délicate, le rôle de zoochorie de l’avifaune est et reste important.

 

Vers une conciliation entre les maires et les corvidés ?

Le souhait, formulé par l’association des Eco Maires de préserver la biodiversité devait favoriser une meilleure gestion de certains corvidés considérés trop souvent nuisibles dans l’espace urbain.

En avril 2013 par exemple, le maire de Rochefort, convaincu par la LPO, a annulé une battue aux corbeaux en y substituant une nouvelle campagne d’effarouchement (diffusion de sons stridents sur un CD) et un élagage des arbres après la période de nidification. La ville a également consenti à favoriser l’installation desdits oiseaux sur d’autres secteurs pour que les corbeaux puissent y trouver un site de nidification de substitution.

En avril 2015, la ville de Saintes a annulé ses travaux d’élagage qui devaient avoir lieu en période de reproduction des corvidés. Le maire a opté pour des méthodes alternatives.

En Alsace, un programme d’actions a été mis en place, pour une période de trois ans, par la ville d’Haguenau en partenariat avec l’Association Protection Réintroduction Cigognes en Alsace (APRECIAL). Ce programme inclut notamment des méthodes d’effarouchements.

Ces exemples montrent qu’il est possible de mettre fin aux nuisances provoquées par les corvidés sans les tuer.

Source LPO :  https://www.lpo.fr/images/mission_juridique/faq/article_conciliation_maires_corvides.pdf

 

Des oiseaux beaucoup mieux acceptés à l’étranger

Les paysans britanniques estiment que les dégâts aux cultures sont en quelque sorte compensés par le nombre d’insectes nuisibles et petits rongeurs capturés par les oiseaux.

En Suisse, seuls des dégâts importants sont pris en compte. Les plaignants ne demandent pas le tir des oiseaux, mais exigent des méthodes d’effarouchement efficaces.

En Allemagne dans les environs immédiats de grandes colonies de corbeaux freux comptant plusieurs centaines de nicheurs, les pertes n’ont jamais dépassé 0,6 % des semences.

En Belgique, ces espèces sont protégées, sauf dérogation locale et limitée.

 

Les corvidés : des oiseaux géniaux !

Dans un article de Trends in Cognitive Sciences , les compétences les plus singulières qui sont repérées chez les corvidés sont celles dont nous pensons à tort qu’elles nous sont réservées :

  • la permanence de l’objet (un objet qui est retiré de la vue, continue d’exister),
  • la patience (parvenir à différer une récompense pour qu’elle soit plus importante, contrôle inhibiteur de l’impulsion),
  • le voyage mental dans le temps (la possibilité de se déplacer dans le passé ou l’avenir pour anticiper ou retrouver des événements, formes de “mémoire du futur”),
  • le raisonnement (la capacité d’inférer une solution à partir d’éléments partiels isolés et disjoints),
  • la métacognition (savoir que l’on sait),
  • la reconnaissance dans le miroir (l’identification du soi dans l’image que renvoie le miroir),
  • la théorie de l’esprit (l’attribution à autrui d’un point de vue ou de connaissances spécifiques)
  • l’apprentissage vocal (apprendre des vocalisations en provenance de sa propre espèce ou d’autres espèces).

 

Animal Cross demande que les corbeaux et les corneilles sortent de la liste des “espèces susceptibles d’occasionner des dégâts”

Bibliographie :

Source LPO, Aspas
https://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2018/06/16/les-villes…
vogelwarte.ch
Ludivine Janssens de la Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux
Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 202
article de Trends in Cognitive Sciences : “Cognition without cortex” (la cognition sans le cortex), Onur Güntürkün et Thomas Bugnyar, respectivement de Bochum (RFA) et Vienne (AUT) font le bilan des études ayant porté sur les facultés cognitives des oiseaux, notamment les plus étudiés : les corvidés (Grand Corbeau, Corneille, Pie…) et perroquets. Le résultat est impressionnant.