Les vautours fauves, naturellement nécrophages, ont vu leur source de nourriture tarie en Espagne du fait d’un changement de réglementation concernant les décharges. Affamés, ils se sont réfugiés en France dès 2007. Accusés à tort d’attaquer le bétail vivant, ils ne sont pas les bienvenus…

Une espèce qui compte moins de 1000 couples nicheurs en France

Dans les années 1970, les vautours fauves ont bien failli disparaître en France. Depuis environs 40 ans, leur protection dans les Pyrénées, leur réintroduction dans les Alpes et le sud du Massif Central ont permis une nette augmentation de leur effectif.

L’Espagne abrite plus de 90 % des effectifs européens de l’espèce. Leur population y a proliféré grâce à la multiplication des dépôts de déchets de viande issus de l’élevage intensif de porcs.

Avec moins de 1000 couples nicheurs, la France est le second pays d’importance en Europe pour la conservation du vautour fauve. Elle compte 580 couples nicheurs en 2006 dont :

  • 550 couples dans les Pyrénées-Atlantiques
  • 30 couples dans les Hautes-Pyrénées
  • 525 couples en 2007, soit une baisse de presque 10% en une seule année.

La tendance générale des effectifs nicheurs nord- pyrénéens est négative (-9,2 %) avec une tendance plus marquée en Béarn (-13,9 %) – et plus encore dans la réserve naturelle d’Ossau (-16,6 %) –, qu’au Pays basque (-4,8 %). Le Béarn abrite plus de la moitié de la population nord-pyrénéenne et les colonies béarnaises montrent pratiquement toutes une baisse d’effectif.
(Source : LPO)

Une espèce juridiquement protégée

• Au niveau national :
Espèce protégée, au titre de la Loi de 1972 et de la Loi de protection de la nature de 1976.

• Au niveau international :
– Directive “Oiseaux” n°79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages dans l’union européenne. Annexe 1 de la Directive Oiseaux : espèce devant faire l’objet de mesures spéciales de conservation en particulier en ce qui concerne leur habitat (Zone de Protection Spéciale).
– Convention de Berne du 19 septembre 1979, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe. Annexe 2 de la Convention de Berne : espèce de faune strictement protégée.
– Convention de Bonn du 23 juin 1979 relative à la conservation des espèces migratrices.
Annexe 2 de la Convention de Bonn : espèce migratrice se trouvant dans un état de conservation défavorable et nécessitant l’adoption de mesures de conservation et de gestion appropriées.
– Convention de Washington du 3 mars 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées (CITES), et Règlement communautaire n°3626/82/CEE relatif à l’application de la CITES dans l’Union Européenne.
– Annexe 2 de la Convention de Washington : espèces vulnérables dont le commerce est strictement réglementé.
– Annexe C1 duRèglement CEE/CITES : espèce menacée d’extinction dont le commerce à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union Européenne est interdit, sauf dans des conditions exceptionnelles.

Un rôle naturel d’équarrisseur de la montagne

Le vautour fauve est nécrophage, c’est- à -dire qu’il se nourrit exclusivement de cadavres. Son bec puissant est capable de déchirer les tissus les plus résistants mais sa morphologie et ses serres le rendent incapable de s’attaquer à la moindre proie vivante.

Les vautours sont des équarrisseurs naturels, c’est-à-dire qu’ils nettoient la montagne de toute carcasse animale. Ils n’attaquent un animal vivant que si celui-ci a été blessé par un prédateur, s’il est extrêmement affaibli ou sur le point de mourir.

Leur mode alimentaire est très apprécié des éleveurs car les vautours fournissent ainsi un service gratuit. En effet, le traitement de l’équarrissage par une filière classique représente des coûts énormes qui sont supportés à la fois par l‘Etat et par les professionnels.

Des oiseaux indispensables à la salubrité des écosystèmes montagnards

Aucun virus et aucune bactérie pathogène ne résistent au système de digestion des vautours fauves. Leur rôle sanitaire indiscutable est prouvé par plusieurs thèses vétérinaires. Ils participent donc à la salubrité des écosystèmes de montagne en limitant la propagation de certaines maladies
véhiculées par des carcasses de mammifères et en évitant la contamination des eaux de sources (source : LPO).

Année 2000 : retrait des muladares espagnoles et début de la famine chez les vautours

Avec l’apparition de l’encéphalite spongiforme bovine (ESB ou maladie de la vache folle) en 2000, de nouvelles normes sanitaires sont demandées par l’UE.
En Espagne, les muladares (décharges) commencent à être supprimées. Des milliers de vautours sont désormais privés de leur nourriture. En Aragon, 1300 vautours fauves meurent de faim en 5 ans. Certaines colonies du nord de l’Espagne auraient perdu jusqu’à 40% de leurs effectifs.
Les vautours, totalement dépendants de l’économie humaine, sont victimes des changements sanitaires qui n’ont pas pris en compte les conséquences désastreuses des retraits de carcasses pour ces rapaces.

Année 2007 : arrivée massive des vautours fauves dans les Pyrénées françaises

Cette crise en Espagne a des répercussions en France. Au cours de l’année 2007, on constate une arrivée massive des vautours fauves dans les Pyrénées. Affamés, ils s’approchent de plus en plus fréquemment des lieux de vie des humains.
Les vautours aimant le goût du placenta, des rumeurs d’attaques pendant la mise bas se répandent.

Un défaut d’attention aux vaches qui vêlent

Selon Jean-Pierre CHOISY, biologiste chargé de mission “Faune” au Parc Naturel Régional du Vercors, l’origine des incidents n’est pas dans un comportement de prédation mais dans la conjonction des caractéristiques propres à certaines races domestiques et d’une conduite de l’élevage inappropriée :
– Certains bovins de races plus productives mais moins rustiques que les races montagnardes ne devraient être mis en alpage qu’après avoir vêlé,
– Certaines races, même en étable, ne doivent pas vêler sans surveillance.
Un vétérinaire rural, président de la section “faune sauvage” de la Commission Environnement de la SNGTV, coordinateur EGB/EGO à la SNGTV, administrateur du Réseau Français des Vétérinaires Praticiens de la Faune Sauvage et de la Mission Rapaces de la LPO le confirme : ” Les vautours n’attaquent pas des animaux de rente en bonne santé !!! Une vache “avec un veau coincé aux flancs” n’est PAS une vache en bonne santé : elle a 90% de malchance de rester paraplégique et de mourir d’une mort naturelle (…) SI LE VETERINAIRE N’INTERVIENT PAS ! »

Des réactions qui évoluent avec le temps

Dates Actions Réactions
Entre 1991 et 2000 Services de l’Etat Aucune réaction
2002 Conseil national de protection de la nature Evaluation du problème et des effectifs des vautours
2003-2006 Organisations agricoles et cynégétiques Demande de paiement des dommages et de la régulation de la population des vautours
2007 Pression du parc national des Pyrénées Crédits dégagés pour la mise en place d’une structure d’expertise et l’élaboration d’un protocole vétérinaire

Des solutions simples et naturelles

La LPO a fort bien analysé la situation et préconise des solutions simples et naturelles :

Eviter de renouveler les erreurs du passé
L’Espagne fait actuellement pression sur Bruxelles afin d’obtenir un assouplissement de la réglementation et l’autorisation d’abandonner des cadavres dans les “zones éloignées”. Au pire, cette initiative conduira à un durcissement de la règlementation en vigueur.

Améliorer les ressources alimentaires des vautours en Espagne
Des contacts doivent être établis entre la France et l’Espagne pour obtenir d’urgence une amélioration des conditions de nourrissage, en particulier en Navarre et en Aragon.

Mettre en place un nourrissage adéquat sur le versant nord des Pyrénées
Les associations sont favorables à la mise en place d’un réseau de placettes par les éleveurs dans les Pyrénées, mais restent opposées à la réalisation de gros charniers alimentés en continu. La légalisation du mode traditionnel de nourrissage, qui jusqu’alors a parfaitement fonctionné sans créer de surpopulation de vautours, doit être maintenue. Il est important de s’appuyer sur le volontariat pour la mise en oeuvre de cette stratégie.

Poursuivre le nourrissage par “placettes” dans les régions concernées par des programmes de réintroduction
Cette technique s’est avérée très positive, non seulement pour permettre l’accès aléatoire aux ressources trophiques de ces régions, mais également pour faciliter les relations entre les bergers et les vautours. Elle doit être maintenue et encouragée, en privilégiant, comme source de nourriture, un type d’élevage extensif et en permettant la disponibilité des carcasses issues des élevages locaux inscrits dans des programmes de génotypage.

Anticiper le changement de politique d’équarrissage à l’horizon 2009
Il sera nécessaire de pérenniser les “placettes” là où elles existent, de favoriser le même type de nourrissage dans les vallées pyrénéennes, qui utilisent depuis toujours les vautours comme équarrisseurs naturels, et d’autoriser l’abandon des cadavres en “zones éloignées”. Si ces solutions de nourrissage étaient abandonnées, nous aboutirions à la situation de l’Aragon, avec toutes les conséquences que nous vivons actuellement. Les
programmes de recherche, actuellement en cours (CNRS), devraient apporter de nouveaux arguments écologiques, économiques et sociologiques.

Les vautours et les éleveurs ont toujours vécu en harmonie, profitant de la présence des uns et des autres. Alors, pourquoi laisser cette situation s’aggraver alors que des techniques simples, efficaces et gratuites existent?

Le rapport produit en 2010 par le Parc National des Pyrénées (PNP), après 3 ans de suivi des populations de vautour et d’expertises vétérinaires, permet d’estimer plus précisément l’ampleur des dommages attribués aux vautours fauves, leur responsabilité dans ces dommages et les mesures à prendre pour les limiter.

À partir de l’ensemble de ces éléments, dont un bilan a été transmis en juin 2010 au MEEDDM, le Préfet des Pyrénées Atlantique a proposé les six pistes suivantes :

  • maintenir les expertises vétérinaires,
  • développer un système d’indemnisation lorsque le vautour fauve est directement responsable de la mort du bétail,
  • reprendre les tirs d’effarouchement,
  • expérimenter un charnier collectif dans la Réserve nationale d’Ossau
  • accompagner l’encadrement et la gestion de placettes “traditionnelles”,
  • communiquer plus largement et associer de manière plus soutenue le monde agricole,
  • intégrer l’évolution des pratiques d’élevage dans les systèmes transhumants dans l’étude stratégique sur le pastoralisme actuellement en cours à l’échelle du massif;
  • initier au niveau central des discussions pour mettre en place un système assuranciel.

Pour en savoir plus

Dossier de presse de la LPO sur la situation des vautours fauves
Saiak : Etude et protection des rapaces en Pays Basque
Pour des Pyrénées Vivantes, dossier de Presse
http://www.oiseaux.net
Analyse de la situation par Jean-Pierre CHOISY, biologiste, chargé de mission “Faune” au Parc Naturel Régional du Vercors
http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Fiche-synthetique-vautour.pdf